RCA : AUJOURD'HUI LA GUERRE , DEMAIN L'ANARCHIE

22 Novembre 2013 , Rédigé par THINK AFRICA PRESS | TENDAI MARIMA Publié dans #CENTRAFRIQUE INFOS

130424-jeune-centrafricaine-unicefL’ONU met en garde contre les risques d’un génocide. Pourtant la communauté internationale peine toujours à réagir.

Entassés sur des terrains appartenant à l’Eglise catholique ou éparpillés dans la brousse et les forêts épaisses du pays, 395 000 civils chercheraient actuellement à se protéger du conflit qui s’intensifie en République centrafricaine [selon le Haut-Commissariat pour les réfugiés]. Les combats opposent essentiellement les rebelles de la Séléka– le groupe rebelle qui a destitué le président François Bozizé en mars 2013 pour le remplacer par Michel Djotodia – et les forces antibalaka. 

Après avoir renversé Bozizé, la Séléka a pillé et attaqué de nombreux villages. Des milliers de personnes ont fui leurs maisons et la crise humanitaire s’est aggravée. C’est alors qu’un ensemble hétéroclite de milices locales d’autodéfense et des groupes armés ont réapparu – des forces qui sont toutes qualifiées d’antibalaka. En représailles aux massacres perpétrés par la Séléka, des paysans locaux, équipés de machettes, de fusils et d’armes artisanales, ont décidé d’appliquer leur propre justice et ont lancé un mouvement de résistance armée dans le Nord. L’insécurité en République centrafricaine ne fait que grandir, et la situation humanitaire se détériore. Pendant ce temps, le gouvernement de transition à Bangui semble incapable d’agir. 

Le mot antibalaka, qui signifie antimachette dans les dialectes locaux mandja et sango, est souvent utilisé pour décrire ces unités d’autodéfense créées par les populations pour lutter contre les bandits, les voleurs de bétail, les rebelles ou les braconniers. Depuis le début de l’insurrection de la Séléka, en décembre 2012, ces groupes armés ont décidé d’associer leurs unités disparates pour lutter ensemble contre un ennemi commun majoritairement musulman. Désormais, les forces antibalaka comptent aussi l’Association des paysans centrafricains (APC), fatigués de subir les violences continuelles de la Séléka, et le Front pour le retour de l’ordre constitutionnel en Centrafrique (Frocca). Cette milice, composée d’anciens membres de l’armée fidèles au président déchu, a été créée en août 2013 par François Bozizé lors de son passage à Paris. 

Malgré ce soutien indirect de l’ancien président, l’implantation et le rayon d’action du mouvement antibalaka restent surtout régionales. Les attaques armées du groupe ne sont pas encore suffisamment coordonnées, et celui-ci ne possède pas l’équipement nécessaire pour rivaliser avec la Séléka, prête pour de véritables batailles. C’est dans le nord-ouest de la République centrafricaine que se concentre encore l’essentiel des violences entre les antibalaka et la Séléka, une région traditionnellement attachée à François Bozizé. Les combats les plus virulents et sanglants ont eu lieu à Bossangoa, Bouca et Bouar, où les victimes ont été très nombreuses [il est impossible de les recenser de manière précise]. 

Le 26 octobre, par exemple, une attaque menée avec des roquettes et des fusils dans la petite ville de Bouar a fait au moins 40 morts. Démunis et apeurés, 5 000 réfugiés se sont entassés sur une propriété appartenant à l’Eglise catholique. Les unités conjointes créées au niveau local pour le maintien de la paix – la Force multinationale d’Afrique centrale (Fomac) et les Forces armées centrafricaines – ont repris le contrôle de la ville, mais le vendredi 1er novembre des tensions latentes ont conduit la Séléka à brûler deux villages des alentours, renforçant ainsi les craintes de nouvelles représailles. 

La religion est un facteur souvent cité pour expliquer les violences : le conflit est présenté comme un affrontement entre les rebelles de la Séléka, majoritairement musulmans, et les forces antibalaka, chrétiennes dans l’ensemble. Si les tensions religieuses entrent en jeu dans un certain nombre de cas, cette analyse est toutefois simpliste. La Séléka compte par exemple, outre des musulmans centrafricains et étrangers [notamment tchadiens ou soudanais], de nombreux rebelles sans affiliation religieuse, des bandits et des opportunistes qui prennent part aux pillages et au vandalisme. 

Devant les actes de terrorisme de la Séléka contre les populations dans le Nord-Ouest et dans toute la République centrafricaine, à Bangui le gouvernement de Michel Djotodia s’est montré incapable de maîtriser les anciens rebelles ou de déployer des forces suffisamment nombreuses et bien équipées pour gérer l’anarchie. 

Faute de plan national précis, le désarmement et la réintégration de la Séléka – soit au moins 20 000 hommes, dont des bandits et des mercenaires étrangers – s’avèrent une mission impossible pour le gouvernement, qui est dépassé par les événements. En septembre, le président a officiellement dissous la Séléka, mais les dissidents n’ont pas déposé les armes et ne se sont pas dispersés, contrairement à ce qui leur a été ordonné. Au lieu de cela, ils ont continué à semer la terreur. 

Si les représentants du gouvernement maintiennent qu’ils ont besoin d’un appui militaire plutôt que d’une nouvelle intervention étrangère, la petite armée nationale centrafricaine est trop faible et trop mal équipée pour lutter contre la Séléka. 

La France prévoit d’envoyer des soldats supplémentaires *, mais elle a affirmé qu’elle “ne jouerait pas le rôle de police du monde” et qu’elle ne veut pas être mêlée à une autre intervention militaire [après Serval, au Mali]. Les Français exhortent les Etats africains à fournir des troupes pour former leur propre mission. En juillet, l’ONU a entériné la création d’une force de 3 652 personnes pour relancer et transformer l’opération régionale de maintien de la paix qui existe actuellement en mettant en place la Mission internationale de soutien à la Centrafrique sous conduite africaine (Misca). Toutefois, paralysée par des problèmes financiers et logistiques, la Misca ne sera probablement pas opérationnelle avant 2014. 

Certes, cette assistance internationale est encourageante, mais la crise que vit la République centrafricaine nécessite d’intervenir immédiatement, de consentir des ressources financières suffisantes et surtout de faciliter un dialogue au niveau régional entre les différentes parties du conflit. Près de 500 000 personnes se retrouvent sans abri à cause des combats. Début novembre, l’ONU a mis en garde contre le risque de génocide et d’anarchie si le conflit se prolonge. A l’heure où un pays extrêmement pauvre et fragile est sur le point de sombrer dans la guerre, il est crucial que le reste du monde réagisse plus vite et plus fermement face à la crise que traversent 4,5 millions de Centrafricains. 

Tendai Marima
Publié le 5 novembre 

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Note :* La France compte 450 militaires sur place pour assurer la sécurité de l’aéroport de Bangui, des sites d’extraction d’uranium d’Areva et de ses ressortissants.
 Vers une intervention ?

●●● Face à l’escalade des violences et à l’inaction des forces africaines déjà présentes en Centrafrique (la Fomac), Ban Ki-moon a envoyé un rapport aux quinze membres du Conseil de sécurité de l’ONU, lundi 18 novembre. Il faut “agir en urgence”, prévient-il. Il leur a demandé de plancher sur différentes possibilités d’intervention, notamment sur l’envoi de “6 000 militaires, 9 000 si la situation venait à se dégrader davantage”. Il dit “attendre désormais leur décision” : “les membres des Nations unies ont l’opportunité et, je le crois fortement, la responsabilité d’empêcher la généralisation des atrocités”, conclut-il. La communauté internationale craint en effet que le conflit religieux dégénère en génocide. La France a également déployé mi-novembre deux contingents de commandos parachutistes, soit 250 hommes, qui s’ajoutent aux 450 soldats déjà sur place. Officiellement, leur mission est de sécuriser l’aéroport de Bangui et de protéger les intérêts et les ressortissants français de cette ex-colonie. Mais le départ d’un navire de guerre français pour le golfe de Guinée, le 15 novembre, constitue un indice supplémentaire qu’une intervention internationale est proche. François Hollande avait déjà mis en garde contre la“somalisation” du pays, mais il est réticent à s’engager sur un autre théâtre de guerre en Afrique sans un soutien clair des Nations unies.

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