Centrafrique : subventions contre élections

21 Mai 2010 , Rédigé par www.droits-humains.geneve.com Publié dans #CENTRAFRIQUE INFOS

carworld.jpgSandra Titi-Fontaine/InfoSud - Face à la pression de la communauté internationale, le chef de l’Etat centrafricain, François Bozizé, a fini par céder : initialement prévues le 25 avril puis le 16 mai, le double scrutin présidentiel et législatif est repoussé à « une date inconnue ». Arrivé au pouvoir par un coup d’Etat en 2003, puis élu à la tête du pays en 2005, ce militaire de carrière n’avait en fait pas trop le choix.

Mi-mars, le Comité de Pilotage des élections – composé des principaux bailleurs : Union Européenne, France, USA et Nations-Unies - a fait valoir que rien n’était préparé, à commencer par la mise à jour des listes d’électeurs, alors que plus de 300 000 Centrafricains sont encore déplacés en interne, ainsi qu’au Tchad et au Cameroun. Des élections forcément tronquées d’avance pour la communauté internationale, qui a bloqué une partie des 9 milliards de FCFA (13,7 millions d’euros) nécessaires à leur organisation. Et aurait pu remettre en cause son soutien financier indispensable non seulement à la survie économique du pays, mais aussi au maintien de Bozizé à la tête de l’Etat.

Pour s’assurer la victoire, le calcul du Président centrafricain était pourtant simple. Il lui fallait organiser un scrutin au plus vite, pour profiter de l’important retard accusé par la Commission Electorale indépendante (CEI), notamment au Nord. Dans cette région violemment opposée au régime de Bangui, le processus de désarmement, démobilisation et réinsertion (DDR) des ex-rebelles peine à se mettre en place. Contrôlant la zone, l’Armée Populaire pour la Restauration de la Démocratie (APRD) pourrait aussi profiter d’un vide constitutionnel et tenter de s’emparer du pouvoir par la force si les élections ne sont pas organisées avant le 11 juin, date de fin du mandat du Président et de l’Assemblée Nationale.

La transparence de ce scrutin constitue une exigence sine qua non des donateurs qui perfusent, avec une lassitude grandissante, ce pays oú le PIB par habitant ne dépasse pas 350 dollars. Si l’aide au développement et aux actions humanitaires est passée de 63 millions de dollars en 2002 à 295 millions de dollars en 2008, l’année dernière, qui devait se concentrer au relèvement économique du pays, seuls 225 millions de dollars de fonds ont été péniblement levés.

Au cours de la dernière décennie, la RCA a connu près de onze coups d’Etat et mutineries. Depuis 2007, les contributions des bailleurs internationaux ont apporté un soutien décisif à la stabilisation de la paix. Début février 2010, les Nations Unies ont débloqué 20 millions de dollars supplémentaires pour alimenter le Fonds de consolidation de la paix. Nombre de rebelles soudanais et tchadiens ont fait du Nord du pays leur base arrière, tandis que dans l’extrême sud-est, les milices ougandaises de l’Armée de libération du Seigneur (LRA) rackettent, pillent et violentent les populations.

Cette insécurité chronique a fragilisé la reprise de l’activité économique en 2009. Depuis septembre 2008, les recettes tirées du bois ont chuté de 20% -le marché asiatique s’étant brusquement contracté-, alors qu’elles représentent près de la moitié des exportations, soit près de 85 milliards de FCFA en 2007. Les sociétés d’exploitations forestières ont licencié la majorité de leurs employés, notamment dans le sud-ouest et l’ouest, accélérant la paupérisation de régions jusque-là attractives. Second produit d’exportation, le diamant ne se porte guère mieux, notamment depuis la restructuration du secteur par le ministre des Mines, de l’Energie et de l’Hydraulique, le Colonel Sylvain Ndoutinguaï. Ce neveu du Président a provoqué la colère des petits exploitants de diamants dans les régions bordant le Cameroun, où les stocks de gemmes ont été saisis chez les négociants principalement Tchadiens, et les concessions familiales fermées les unes après les autres. Considérée comme l’un des poumons économiques du pays, il n’est pas certain que cette zone revote en faveur du président Bozizé et de son parti Kwa Na Kwa (KNK).

Mais en 2010, dans un contexte de remontée des cours mondiaux de matières premières et sous réserve d’une stabilisation sécuritaire, la croissance pourrait rebondir et dépasser 3,5%. Selon la COFACE, groupe d’analyse des risques commerciaux, « le BTP et les institutions en particulier pourraient bénéficier des efforts de reconstruction soutenus par les institutions multilatérales ».

Maintenant, le président Bozizé va devoir maintenir tant bien que mal une stabilité politique et économique déjà très fragile, jusqu’à l’organisation des élections, probablement après la fin de la saison des pluies, en septembre. Chaque soir, le chef de l’Etat quitte le Palais Présidentiel du centre-ville pour se réfugier dans sa maison « bunker » du PK12 : en cas d’urgence, il pourrait alors fuir par « le goudron » vers son fief de Bossangoa.

Un soutien international essentiel

Ce soutien appuyé de la communauté internationale a permis à la RCA d’atteindre le point d’achèvement de l’initiative Pays Pauvres et Très Endettés (PPTE) en juin 2009. Le pays a alors bénéficié d’une annulation substantielle de sa dette contractée auprès du Club de Paris, et d’une annulation totale de celle auprès du FMI et de la Banque Mondiale. Mais le pays reste très dépendant des bailleurs de fonds internationaux pour financer la réhabilitation des infrastructures de transport et d’énergie. La Facilité pour la réduction de la pauvreté et pour la croissance (FRPC) du Fonds Monétaire International (FMI) a ainsi été prolongée jusqu’à juin 2010.

Quant à la Banque Mondiale, sa représentante à Bangui vient d’annoncer un appui budgétaire de 5 milliards de FCFA, pour aider le pays à faire face aux effets de la crise financière, « dont la première tranche serait versée avant juillet ».

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