Confrontée à l'explosion des villes, l'Afrique peine à former ses urbanistes

14 Mars 2009 , Rédigé par Le Monde Publié dans #NOUVELLES D'AFRIQUE

Pendant que les villes d'Afrique explosent, l'Ecole africaine des métiers de l'architecture et de l'urbanisme (Eamau) peine à former les bataillons d'élite censés discipliner les métropoles du continent, entre budgets impayés et grève des étudiants.

Les cours ont repris le 9 mars dans l'école de Lomé. Mais les slogans sur les murs témoignent de la violente grève menée par les élèves durant un mois et demi pour dénoncer des conditions d'études indignes, une résidence universitaire délabrée de 104 lits pour 300 étudiants et l'insécurité autour de l'école, située entre les rues en terre et les cahutes basses d'un quartier populaire de la capitale togolaise. Le lieu est pourtant stratégique, à l'heure où le continent, gagné par une urbanisation massive et anarchique, voit se multiplier les bidonvilles.

Les villes d'Afrique subsaharienne sont formées aux deux tiers de quartiers informels sans infrastructures ni équipements, où vivent 165 millions d'habitants, selon L'Etat des villes du monde 2008-2009, publié par l'ONU-Habitat. Et ce n'est qu'un début : l'agence onusienne estime que ces cités passeront de 350 millions d'habitants en 2005 à 1,2 milliard en 2050. La moitié de la population de l'Afrique serait alors urbaine, contre 38 % seulement aujourd'hui.

Pour répondre à ce défi, l'école se targue d'avoir procuré 600 professionnels aux administrations d'une vingtaine de pays. "Nous avons même produit des ministres de l'urbanisation", se félicite le directeur du développement et de la recherche, Ambroise Adjamagbo. Avec des succès inégaux : si Cotonou et Ouagadougou ont confié aux diplômés de l'Eamau leur intense renouvellement, la ville hôte de l'école, Lomé, a sombré dans le chaos urbain sans recourir à ses compétences.

C'est à cette réalité confuse que l'Eamau veut préparer ses élèves. "Le programme met l'accent sur le tissu urbain existant, l'autoconstruction. On enseigne comment donner le meilleur de l'urbanisme quand n'existent ni voies bitumées ni réseau d'assainissement", explique M. Adjamagbo.

"Nous pensons que former des urbanistes peut aider à réduire la pauvreté en Afrique : les revenus des habitants des villes chutent à cause du coût trop élevé des logements et des services urbains mal conçus", précise Djeguema Adebayo, le responsable du Centre de recherche sur la ville africaine.

C'est pour inventer un modèle africain d'aménagement urbain que l'établissement a créé cette formation doctorale pluridisciplinaire. "Les bureaux resteront des bureaux comme partout dans le monde, précise le directeur général de l'Eamau, l'Ivoirien Koudio Nda N'Guessan. Mais nous allons voir émerger dans l'habitat une nouvelle architecture tropicale. Les Africains ne sont pas prêts à vivre dans des tours, le rapport à la terre est trop important."

Pour M. Nda N'Guessan, "il ne faut pas traiter les projets urbains en Afrique uniquement sous l'axe technique, mais aussi dans leurs dimensions sociale et culturelle. Les acteurs de l'aide au développement courent à l'échec en appliquant les modèles occidentaux. Nous formons des professionnels à atteindre les mêmes objectifs, mais dans un contexte de fort analphabétisme, de faibles ressources, de prédominance des rapports interpersonnels."

Ces ambitions se heurtent aux contingences... de l'Afrique. Les subventions impayées par les pays membres totalisent 4 milliards de francs CFA (6 millions d'euros). Et si la plupart des élèves sont boursiers, nombre d'entre eux ne reçoivent jamais leur allocation. "Il y a un manque de volonté politique, déplore M. Nda N'Guessan. Certains pays utilisent l'école pour se débarrasser de leurs problèmes d'éducation en envoyant au loin leurs étudiants."

La grogne des étudiants a fait ressortir des cartons un projet vieux de dix ans : un campus de 13 hectares, avec salles de cours, équipements et logements pour 600 élèves. Le terrain existe, donné par le Togo. Reste à trouver 6 milliards de francs CFA pour les travaux, plus 4 milliards pour développer la formation continue et la recherche. "Chaque Etat membre était censé donner 50 millions de francs CFA pour démarrer. Deux seulement sur quatorze ont payé", déplore le directeur du développement.

L'Eamau s'est ouverte à d'autres partenaires financiers (l'Union économique et monétaire ouest-africaine, l'Agence universitaire de la francophonie, l'Union des architectes d'Afrique), mais, sans financements nouveaux, le campus a aussi peu de chances de sortir de terre que les bidonvilles d'être résorbés rapidement.


Grégoire Allix

Une école inter-Etats créée après les indépendances

Origine Etablissement inter-Etats, l'Ecole africaine des métiers de l'architecture et de l'urbanisme (EAMAU) a été créée en 1976, au lendemain des indépendances, par des pays soucieux de former leurs cadres.

Quatorze pays sont aujourd'hui "clients" de l'école et la financent : le Bénin, le Burkina Faso, le Cameroun, la Centrafrique, le Congo, la Côte d'Ivoire, le Gabon, la Guinée-Bissau, la Guinée équatoriale, le Mali, le Niger, le Sénégal, le Tchad et le Togo.

Formation L'Eamau forme des architectes-urbanistes (bac + 6), employés ensuite dans les ministères, et des techniciens supérieurs en gestion urbaine (bac + 3), plutôt destinés aux administrations municipales.

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