Tchad - La France piégée

8 Février 2008 , Rédigé par Le Point.fr Publié dans #NOUVELLES D'AFRIQUE

Sarko_Deby071107200.jpgAlors que la force européenne devait se déployer ces jours-ci au Tchad et en Centrafrique pour protéger les réfugiés du Darfour, l'attaque des rebelles sur N'Djamena place les Français devant un choix difficile : soutenir militairement ou non Idriss Déby.

Ça lui a rappelé des souvenirs. Des colonnes de 4 x 4 armés de mitrailleuses, fondant sur N'Djamena après un périple de 800 kilomètres à travers le sable et la pierraille. En 1990, c'était lui l'inspirateur des offensives éclair... Idriss Déby, 55 ans, le maître du Tchad, l' « homme des rezzous TGV », comme on le qualifiait à l'époque. C'est ainsi qu'il a conquis le pouvoir, chassant son vieil ennemi, Hissène Habré.

 

Retournement de l'Histoire. En l'espace d'un week-end, l'ex-assaillant a goûté au sort de l'assiégé. Retranché dans son palais présidentiel, Idriss Déby a vécu l'impensable : l'invasion de sa capitale par une coalition de forces rebelles. L'attaque la plus foudroyante depuis son arrivée à la tête du pays. 2 000 hommes montés dans 300 pick-up, partis des confins du désert avec un mot d'ordre : le renverser. Tirs de roquettes, maisons incendiées, cadavres calcinés, corps déchiquetés, des centaines d'étrangers rapatriés et des milliers de civils en fuite vers le Cameroun, deux jours suffisent à dévaster la capitale du Tchad, N'Djamena. Et à installer le chaos. Seulement voilà, le 5 février le régime tient toujours. Il retrouve même de l'air grâce à ses chars T55 et ses hélicoptères MI24 qui pilonnent sans relâche. L'effet ne tarde pas. Les rebelles acceptent le principe d'un cessez-le-feu immédiat.

 

Un répit salutaire... Pour les blessés, victimes de balles perdues ou d'éclats d'obus et acheminés vers les hôpitaux dans la plus grande confusion. « Il y a 200 patients à l'hôpital de la Liberté et pas une infirmière, déplore Isabelle Defourny, de Médecins sans frontières. On manque de tout et d'abord de chirurgiens. » Répit aussi pour la diplomatie française déboussolée et impuissante face au carnage. Un dangereux flottement. Qui donne le sentiment que Paris veut d'abord sonder le rapport de forces. L'Elysée cherche même à « mouiller » l'Onu au plus vite. « On ne combat pas les rebelles en se mettant en dehors d'un processus juridique international », justifie le président Sarkozy. Le Conseil de sécurité se contente de soutenir le gouvernement tchadien dans une simple déclaration « non contraignante ». Finalement, après quarante-huit heures de tergiversations, Nicolas Sarkozy hausse le ton avec les encouragements de Washington. « Si la France doit faire son devoir, elle le fera » , dit-il. Quant à Bernard Kouchner, il dénonce « une attaque brutale contre un gouvernement légal ».

Les apparences sont sauves. Mais l'embarras est réel. Y compris parmi les militaires français présents au Tchad en vertu d'un accord de coopération militaire ( voir encadré ). En avril 2006, lors d'une précédente offensive, Jacques Chirac avait ordonné à un Mirage français de tirer un coup de semonce contre une colonne de ces mêmes rebelles, à 250 kilomètres à l'est de N'Djamena. L'opération avait suffi à bloquer la progression des assaillants. Rien de tel aujourd'hui. Et c'est l'incompréhension dans les rangs. « Nous sommes là depuis vingt ans , raconte un officier supérieur de la Légion étrangère. Alors à quoi servons-nous si nous n'intervenons pas en cas d'agression caractérisée ? Si nous ne sommes plus les gendarmes de l'Afrique, pourquoi restons-nous sur ce continent ? » Ambiance... Du coup, l'armée française se borne à des actions de soutien passives : fourniture de renseignements, protection de l'aéroport et des hélicoptères tchadiens qui y stationnent avec leur stock de carburant. Sans oublier l'exfiltration des étrangers. « Nous avons évacué plus de 1 000 personnes , plaide-t-on au ministère de la Défense, et 400 autres sont sous notre protection. Nous avons aussi procédé à l'extraction des ambassadeurs d'Allemagne, des Etats-Unis, d'Arabie saoudite et d'autres . »

Il n'empêche. A l'Elysée le malaise persiste. « J'ai demandé à l'aviation française de survoler la frontière avec le Soudan, côté Tchad, pour vérifier qu'il n'y a pas d'incursion étrangère », avance Sarkozy, soucieux de reprendre la main. Mais le coeur n'y est pas. Pour au moins trois raisons. D'abord, la France entretient des relations houleuses avec son ancienne colonie. Elle a dû forcer la main de Déby pour que ce dernier accepte sur son sol les troupes européennes de l'Eufor (3 700 hommes dont 2 100 soldats français), destinées à protéger les réfugiés du Darfour. Et l'affaire de l'Arche de Zoé a alourdi le climat. Or Paris a tout à perdre d'une déstabilisation du Tchad, gangrené par le conflit du Darfour à ses frontières. Le Soudan aurait alors tout loisir de déployer ses milices et de placer un gouvernement à sa solde à N'Djamena Deuxième explication : la France sait le régime tchadien à bout de souffle. « Elle tient Déby comme un pendu au bout d'une corde », dit Roland Marchal, spécialiste de la région et chercheur au Centre d'études et de recherches internationales. Et sa responsabilité est grande. Déby, l'ancien officier formé à l'Ecole de guerre française, a pris le pouvoir voilà dix-sept ans avec la bénédiction de Paris.

Le bilan ? Désastreux. 80 % des 10 millions d'habitants vivent avec moins de 1 dollar par jour. La corruption règne et les opposants sont férocement réprimés. Ces derniers jours, Déby a renoué avec ses vieilles pratiques. Sa Garde républicaine a arrêté à leur domicile trois leaders de partis politiques issus de la société civile, parmi lesquels Ngarlejy Yorongar, un ex-candidat à l'élection présidentielle. Enfin, dernière raison au blues français : l'absence d'alternative politique. La bataille de N'Djamena est sans issue. Car c'est un seul et même clan qui se déchire. Celui des Zaghawa, auquel appartient le président. « Nous sommes dans une situation ahurissante où une ethnie qui représente 3 % de la population confisque le pouvoir depuis trente ans », constate l'ethnologue Christian Delmet. De fait, les chefs rebelles font partie de la famille régnante ! Les jumeaux Timan et Tom Erdimi, à la tête du Rassemblement des forces pour le changement, sont les neveux d'Idriss Déby... Chargés des filières du coton et du pétrole au sein de son gouvernement jusqu'en 2005. Le général Mahamat Nouri, aux commandes de l'Union des forces pour la démocratie et le changement, a occupé, lui, le poste de ministre de la Défense de 2001 à 2003. Leur but ? Retrouver le faste des palais en dénichant des sponsors de l'autre côté de la frontière. Car c'est le Soudan qui arme les rebelles tchadiens. En leur fournissant, notamment, des pick-up neufs.

Certes, les intéressés s'en défendent. « On récupère le matériel auprès des parents et des cousins de nos tribus ! » assure Ousmane Hissein, l'un des porte-parole de la rébellion. Mais personne n'est dupe. Et l'histoire se répète. Avant sa conquête du pouvoir, Idriss Déby avait, lui aussi, ses parrains à Khartoum. « On est là pour assurer une transition démocratique dans le respect des droits de l'homme, poursuit Ousmane Hissein, on ne veut plus vivre dans ce système mafieux. » Elan sincère ? « Ils ont partagé le pouvoir pendant des années avec Déby, pourquoi voulez-vous qu'ils aient changé ? » interroge Roland Marchal. D'autant qu'une manne attise les convoitises : le pétrole exploité depuis 2003 et dont les recettes devraient dégager 2 milliards de dollars par an. Déby n'a pas attendu. Il puise déjà dans ses revenus pétroliers pour compléter son armement, en dépit de sa promesse de les affecter à « un fonds pour les générations futures ».

Pour l'heure, un acteur se réjouit du bourbier tchadien : le Soudan, parvenu à geler le déploiement des troupes européennes de l'Eufor à ses portes. Comme le résume un général français spécialiste des interventions extérieures, plutôt désemparé : « On ne peut pas courir tous les lièvres à la fois... »

Une longue histoire

Les soldats français n'ont jamais vraiment quitté ce pays instable depuis qu'ils y sont intervenus pour la première fois en 1968, en soutien au président François Tombalbaye, menacé pour une rébellion dans le Tibesti. Cette mission dure jusqu'en 1972, avant de reprendre de 1978 à 1980. Puis, de 1983 à 1984, ce sera l'opération Manta, destinée à protéger l'ancien rebelle Hissène Habré, devenu président, contre les assauts de son opposant Goukouni Oueddei soutenu par les Libyens. En février 1986, ces derniers envoient un avion Tupolev bombarder la piste de l'aéroport de N'Djamena. Le ministre de la Défense d'alors, le socialiste Paul Quilès, annonce que Paris « met en place un dispositif de dissuasion ». Ce sera l'opération Epervier. Depuis cette date, et sans interruption, 1 200 militaires français-renforcés la semaine dernière par une compagnie d'infanterie venue du Gabon-et des moyens aériens importants sont déployés au Tchad. Mais force est de reconnaître que la mission initiale de dissuasion n'a plus guère d'effet aujourd'hui J. G.

« Nous ne sommes pas les gendarmes de l'Afrique »

L es militaires français du dispositif Epervier « ne constituent pas une force en protection d'un régime politique, ni au Tchad ni dans la région, même si ce pouvoir est incontestablement légitime. Bien que les rebelles soient équipés, sans doute, par le Soudan, il s'agit de Tchadiens. C'est tellement vrai que certains d'entre eux appartiennent à la même tribu que le président Déby, deux de leurs chefs se trouvant être ses neveux. La France estime ne pas pouvoir intervenir dans les affaires tchado-tchadiennes. A moins, bien sûr, de disposer de mandats internationaux, qui n'existent pas à ce jour. La déclaration de l'Onu constitue l'esquisse d'une autorisation, mais nous estimons que nous n'avons pas à faire la police à l'intérieur d'un Etat africain. La légitimité de la France pour détruire des centaines de vies dans un pays étranger est nulle. Nous ne sommes pas les gendarmes de l'Afrique » Propos recueillis par J. G.

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